Tribunal administratif de Marseille, 3 avril 2020, Retrait de deux arrêtés pris par le Préfet des Bouches du Rhône ordonnant le transfert d’une famille aux autorités espagnoles responsables de leurs demandes d’asile et ordonnant leur assignation à résidence, après l’introduction d’un recours.

Les époux X ressortissant algériens, entrés sur le territoire français, ont sollicité l’asile auprès des services de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Par deux arrêtés, le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé leur transfert aux autorités espagnoles responsables de leurs demandes d’asile et les a assignés à résidence. Les époux X ont demandé au tribunal d’annuler ces arrêtés.

Le Préfet des Bouches du Rhône a ainsi décidé de retirer les arrêtés litigieux en faisant valoir que « les arrêtés n’auraient en aucun cas été notifiés si mes services avaient aux connaissances de ces informations ». 

Une multitude de moyen avaient été soulevés, à savoir : 

Le vice de forme tire de l’absence de qualité du signataire

Aux termes de l’article L.212-1 du Code des relations entre le public et l’administration : 

« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». 

Cet article est issu de la scission de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 destiné à « lever l'anonymat » de l'administration dans ses rapports avec le public. Le premier alinéa de l'ancien article, de portée plus générale, a été codifié à l'article L. 111-2. L'article L. 212-1 hérite, quant à lui, du second alinéa de cet ancien article déclinant la démarche de levée de l'anonymat dans le cas précis où l'administration prend une décision.

Trois mentions sont rendues obligatoires par cet article : la signature de l'auteur de l'acte d'abord, son nom et son prénom ensuite, sa qualité enfin, qu'il faut entendre comme celle lui donnant compétence pour prendre la décision en cause. 

L'objectif est de permettre à l'administré d'identifier l'auteur de l'acte et, comme peuvent le faire les justiciables s'agissant de la composition des formations de jugement, de lui donner les moyens de vérifier par lui-même le respect des règles de compétence et de procédure par ceux qui ont pris la décision (ainsi que, le cas échéant, leur impartialité). La règle doit inciter l'administration à la rigueur, notamment dans l'usage des délégations de signature. Le fait qu'une décision émane d'un organisme (direction, service) compétent pour prendre la décision ne peut plus suffire en pratique pour assurer de facto sa régularité : l'identité de l'auteur de l'acte étant communiquée à son destinataire, ce dernier pourra vérifier la qualité de celui qui a signé l'acte et son habilitation à engager l'organisme pour lequel il agit.

Ainsi si l'une des mentions fait défaut et qu'aucune autre ou aucun autre document ne permet à l'intéressé de connaître aisément l'identité de l'auteur de l'acte, la décision encourt l'annulation pour illégalité externe (CE 28 mai 2010, Moguelet, no328686) conformément à l'intention du législateur qui ressortait des travaux préparatoires (Rapp. AN, no 1613), seul faisant classiquement exception le cas dans lequel l'autorité est en compétence liée.

Le respect de ces formalités constitue donc une condition de la légalité formelle de l'acte, leur non-respect étant susceptible d'entraîner l'annulation de l'acte pour violation d'une formalité substantielle (CE 25 juill. 2001, Oukal, no 228392). 

Le vice de procédure tiré du défaut d’information 

Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :  

« Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) ;
2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 
3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 ». 

Sur le défaut d’autorisation délivrée par les autorités espagnoles 

En vertu des règlements (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 (dit "Dublin III") et (CE) n°1560/2003 du 2 septembre 2003, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un Etat membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le "point d'accès national" du réseau Dublin et pour la France. Les autorités de l'Etat regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes. 

La décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable au vu de la consultation du fichier Eurodac ne peut être prise qu'après l'acceptation de la reprise en charge par l'Etat requis, saisi dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. 

Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise alors que l'Etat requis n'a pas été saisi dans le délai de deux mois ou sans qu'ait été obtenue l'acceptation par cet Etat de la reprise en charge de l'intéressé. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur ce point au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance (CE, 31-07-2019, n° 428761). 

Le non-respect du critère de détermination de l’Etat responsable de la demande d’asile 

Aux termes de l’article 7 du règlement européen n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JOUE n° L 180, 29 juin 2013) : 

« Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre.  
2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre (…) ». 

L’article 12 de ce même texte prévoit : 

« 1.   Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
2.   Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
(…)
4.   Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres.
Lorsque le demandeur est titulaire d’un ou plusieurs titres de séjour périmés depuis plus de deux ans ou d’un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre et s’il n’a pas quitté le territoire des États membres, l’État membre dans lequel la demande de protection internationale est introduite est responsable.
(…) ».  

Sur le défaut d’examen particulier de la situation familiale et personnel du requérant, la violation de l’article 8 de la CEDH et de l’article 3 de la convention internationale de l’enfant

Aux termes de l’article 17 du règlement n°604/2013 précité : 

« 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.
L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique «DubliNet» établi au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l’État membre antérieurement responsable, l’État membre menant une procédure de détermination de l’État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.
L’État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l’indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d’examiner la demande a été prise.
2.   L’État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’État membre responsable, ou l’État membre responsable, peut à tout moment, avant qu’une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit.
La requête aux fins de prise en charge comporte tous les éléments dont dispose l’État membre requérant pour permettre à l’État membre requis d’apprécier la situation.
L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires pour examiner les raisons humanitaires invoquées et répond à l’État membre requérant, au moyen du réseau de communication électronique DubliNet établi conformément à l’article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. Les réponses refusant une requête doivent être motivées.
Si l’État membre requis accède à la requête, la responsabilité de l’examen de la demande lui est transférée ». 

Aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du citoyen : 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». 

Aux termes de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant : 

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 
2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. 
3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ». 

Sur ce dernier moyen, l’état de santé des enfants du couple avait été mis en avant. 

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